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Ant Editions : entretien avec l’éditeur de Vivre en Macronie

L’aventure éditoriale d’Ant Editions est née après ce triste constat : les auteurs de BD se paupérisent, le système actuel ne permet pas à ses principaux acteurs d’en vivre. Pourtant, le marché de la BD se porte globalement bien ; mais le modèle économique de ce secteur précarise les auteurs : taxations, contrats peu avantageux, beaucoup d’intermédiaires entre l’auteur et le lecteur,…

Ant Editions propose un nouveau système, totalement transparent pour ses lecteurs et ses auteurs. Entretien avec Anthony Roux, le fondateur de cette maison d’édition d’un nouveau genre.


Ant Editions, comment ça fonctionne ?  

Quand j’ai créé Ant Editions, j’ai vraiment souhaité créer une entreprise répondant à des valeurs qui me tiennent à cœur : juste rémunération des autrices et auteurs, démarche environnementale, prestataires situés en France, refus de passer par les ogres du commerce en ligne.Cela implique donc un fonctionnement assez particulier et souvent un parcours du combattant pour faire vivre la structure. Je dois (presque) tout faire, en parallèle d’une autre activité professionnelle. Disons que je grignote sur mon sommeil.
Pour expliquer ce fonctionnement, je suis obligé de revenir sur l’historique de la structure : elle est née car les auteurs sont de plus en plus précaires et que le système éditorial actuel ne me convenait pas, aussi bien en terme d’écologie que d’éthique. J’ai eu envie de faire bouger les lignes avec mes modestes moyens. J’ai donc mis en place un système plus juste. Je défends mes ouvrages dans la durée et non le temps de leur sortie, j’ajuste mes tirages pour qu’il n’y ait aucun livre qui aille au pilon (destruction du livre… une pratique très courante !). Je m’efforce aussi d’être le plus transparent possible avec les auteurs mais avec le public. Ce dernier est d’ailleurs un élément essentiel dans le fonctionnement : le bouche-à-oreilles est primordial ! Je n’ai pas envie d’avoir simplement un public consommateur.

Quel modèle économique avez-vous choisi pour votre maison d’édition ?

Une utopie .. Plus sérieusement, lors de la signature du contrat, on convient avec l’auteur d’une somme versée par page livrée. Ainsi, l’auteur sait combien il gagnera même si aucun livre ne venait à être vendu. Cette somme n’est pas une avance mais la rémunération pour un travail donné. Ensuite, l’auteur touche des droits dès le premier exemplaire vendu et ces droits augmentent une fois le livre rentabilisé. Ainsi, si le livre commence réellement à avoir des bénéfices, l’auteur en bénéficiera aussi. Je trouve que c’est super important de rémunérer correctement l’auteur ! Et il a lui aussi tout intérêt à défendre le livre et à le faire vivre.
C’est pour cela d’ailleurs que les albums sont proposés en préventes. Cela permet de mieux ajuster le tirage, d’éviter le gâchis et d’impliquer le lectorat dans le processus.Mes marges étant réduites et mon catalogue peu conséquent, je suis obligé d’assurer la diffusion moi-même, en prospectant les librairies. J’essaye de leur proposer des tarifs intéressants pour elles, leur permettant aussi de dégager une marge… Mais les frais de port n’aident pas du tout ! C’est un loooong parcours du combattant, qui demande en plus de faire preuve de pédagogie. Car, c’est ça le plus fou, pour un éditeur indépendant, il est plus intéressant d’aller mettre ses livres en vente chez un très célèbre site de vente en ligne que dans une petite boutique locale. A force, ça va réellement tuer le métier de libraire et la position de monopole d’un géant du numérique risque de faire mal à la culture si on laisse faire… Et comme je suis un dangereux rêveur, je compte développer un accès gratuit aux ouvrages en format numérique et de mener une réelle politique à destination des médiathèques. La culture ne doit pas être un luxe !

Combien de titres avez-vous au catalogue?

1… Pour l’instant. J’ai en cours le second tome de Vivre en Macronie, un autre ouvrage qui s’appelle RIP-Une Histoire Mortelle avec Nicolas Otéro, 1ver2ânes et moi-même au scénario. J’ai d’autres projets dans les tuyaux mais comme rien n’a été signé, je préfère ne pas en parler officiellement. Disons juste que j’espère pouvoir les faire vivre très bientôt, les auteurs avec qui je vais pouvoir bosser sont de chouettes personnes, qui font du super boulot !J’ai volontairement voulu ne pas me mettre de limite thématique. J’ai envie d’avoir une structure éditoriale assez libre et ne pas enfermer les auteurs dans des carcans de collection ou refuser des projets faute de thématique adaptée.

Vous êtes l’éditeur d’Allan Barte, l’auteur des recueils « Vivre en Macronie », considérez-vous comme politiquement engagé ?

Vivre en Macronie, Allan Barte, Ant éditions
©Ant Editions

Oui et non. J’ai mes préférences personnelles, comme tout le monde, mon opinion, je vote mais je ne souhaite pas faire d’Ant Editions une maison d’édition avec une étiquette politique comme on peut le voir parfois dans d’autres structures. Initialement, Vivre en Macronie n’était pas le premier ouvrage que je comptais publier, c’était RIP. Finalement, les échanges avec Allan et le fait qu’il avait déjà toute la matière ont fait que Vivre en Macronie a été le premier titre d’Ant Editions. Je me retrouve pas mal dans les analyses d’Allan… On ne va pas se mentir, Vivre en Macronie aurait été une ode au capitalisme sauvage, au bon parfum de glyphosate et à la haine de l’autre, je ne l’aurais pas édité car aux antipodes de mes valeurs.

Mon fonctionnement montre bien que j’ai une forme d’engagement, plus citoyen que politique. Je pense qu’on va droit dans un mur si on continue comme ça. On est en train de bousiller la planète, de détruire des espèces, d’accentuer les injustices sociales, de créer des drames humanitaires… Et pourtant, j’ai l’impression qu’au lieu de s’arrêter face à ce mur, on file le pouvoir à des personnes qui appuient sur l’accélérateur. Eux, ils auront peut-être un airbag et une ceinture de sécurité mais pas nous ni les espèces animales et végétales.

Quels objectifs vous êtes-vous fixés pour les années à venir ?

Arrêter de perdre de l’argent. 😀 Pour l’instant, la structure n’est pas encore à l’équilibre financier. J’aimerai vraiment réussir à la rendre viable et, idéalement, pouvoir commencer à en vivre (mais bon, c’est sur du plus long terme).  Le but n’est pas de devenir milliardaire mais bien de montrer qu’il est aussi possible de créer un autre système, plus juste, plus égalitaire, plus durable… Et, ce qui serait super, c’est que cela donne des idées à d’autres : qu’un tel système puisse remplacer l’ancien !
J’ai envie de montrer que la culture peut être accessible à tous, j’ai envie de défendre de chouettes projets, j’ai envie que les auteurs aient envie de bosser avec Ant Editions, j’ai envie que le lectorat prenne du plaisir à lire nos livres.


Ecohmag – propos recueillis par la rédaction

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