AccueilTribune libreMon stage dans une galerie d'art parisienne : entre profit et escroquerie

Mon stage dans une galerie d’art parisienne : entre profit et escroquerie

Témoignage de Mathilde, ayant effectué un stage dans une galerie d’art contemporain à Paris.


Comme beaucoup de jeunes sortant de leurs études supérieures, j’ai rapidement été confrontée à la réalité du monde du travail, ou plutôt au monde de la recherche du travail. Toute ma confiance accumulée en tant qu’étudiante s’est envolée, confrontée à la difficulté de trouver une offre de travail ou de stage.

Quand j’ai finalement reçu un retour m’invitant à un entretien, j’étais ravie, d’autant que c’était dans le milieu de l’art, ce dernier m’intéressant. Il s’agissait d’une galerie contemporaine dans le 8e arrondissement de Paris, la galerie de Mme Coti*.

L’entretien s’est très bien passé, elle m’a rassurée vis-à-vis des préoccupations que j’avais. Elle m’a également promis un CDI si j’envisageais de continuer après mon stage. Bref, tout paraissait parfait, même le salaire était raisonnable, car au-dessus de la rémunération légale de stage on touchait 5% du contrat sur les nouveaux artistes qu’on recrutait.

C’est ce “bonus” qui m’a paru un peu étrange. Mme Coti promettait à ses stagiaires de gagner le double de leur rémunération, soit 600 euros, en touchant 5% du contrat des nouveaux artistes qu’ils recrutaient. Quand j’ai essayé de comprendre si cela était faisable elle m’a tout de suite répondu que c’était la partie la plus facile du boulot, qu’elle le faisait pour que ses stagiaires puissent survivre à Paris, que cela lui paraissait juste. Mais ce qui me frappa c’est que les artistes payaient pour être représentés par la galerie, d’autant plus que pour doubler ma rémunération il me fallait découvrir un minimum de 13 nouveaux artistes par mois, tâche me paraissant importante, pour une petite galerie de 70 m2. D’autant que je n’étais pas la seule stagiaire.

Mais excitée d’avoir du travail j’emménage à Paris sans me poser trop de questions.

Mon premier jour commence avec une stagiaire Vietnamienne, là depuis huit mois, sur le point de reprendre ses études aux beaux-arts. C’est elle que je vais remplacer et qui m’explique en gros, le fonctionnement de la galerie. Elle me donne les mots de passe pour tous les comptes, et me montre comment tout est trié sur Google drive et Gmail. On me demande d’apporter mon ordi personnel tous les jours pour travailler. Ma première tâche est fastidieuse, consistant à devoir inscrire les nouveaux artistes sur le site de la galerie, ce dernier étant construit à travers WIXsite, une plateforme pour les amateurs non adaptée à la gestion de grandes quantités de données.

On me donne un fichier EXCEL de plusieurs pages avec les artistes pour qui je dois créer une page sur le site. Je suis également chargée de les mettre sur Artsy et Artsper, deux sites de vente d’Art moderne. La liste des artistes est longue, et la quantité de travail n’est pas négligeable.

Mme Coti arrive vers 13h30, en retard d’une demi-heure pour son premier « rendez-vous », talons aiguilles, tailleur blanc, sac Chanel rouge flamboyant au bras, lentilles de contact pour des yeux d’un bleu glacial, cheveux lissés et faux cils. Pleine d’esprit, elle demande à l’artiste présent de déballer ses œuvres. Et là, elle exerce une mise en scène que je reverrais tous les jours pendant ma semaine dans cette galerie. Elle regarde la première toile d’un regard perplexe et demande « vous peignez toujours dans ce style ? », suivi par « vous peignez toujours de ce format ? ». Elle continue son sketch en faisant des observations sur la composition, la technique, les couleurs et évidemment l’émotion de l’œuvre en question. L’artiste se sent pris au sérieux, anxieux de plaire à cette galeriste parisienne. Elle finit par déclarer que son travail l’intéresse et l’ invite à la suivre dans son bureau au sous-sol, où elle s’installe, allume une Winston et ferme la porte. Pour le reste de son discours, je n’ai entendu que des phrases par-ci et par là, ce n’est donc que plus tard, en parlant avec un artiste, que j’ai su exactement ce qu’elle promettait.

J’ai compris que Mme Coti a une galerie représente presque uniquement des artistes qui se sont mis à poursuivre leur côté créatif sans avoir une formation aux beaux-arts. Ce ne sont pas seulement des jeunes, au contraire, ce sont plutôt des gens de plus de 40 ans, qui n’ont sûrement comme retours concernant leurs œuvres, que ceux de leurs proches ou de non-professionnels du secteur, sinon ils ne seraient pas là. Donc, lorsque une galerie à Paris montre un intérêt, ils sont ravis, ils se sentent valorisés, et pensent que leur carrière artistique va finalement décoller. Ils ne peuvent pas savoir que Mme Coti accepte tous les artistes qui passent sa porte. Elle leur promet d’être représentés un an par sa galerie, dont deux mois (non consécutifs, évidemment) où ils sont exposés, leurs œuvres seront également mises en vente sur deux des plus grandes plateformes du marché de l’art, Artsy et Artsper, et ils seront publiés dans le magazine de la galerie. Au final, elle engagera un service de photographe professionnel pour capturer leurs œuvres et les imprimer sur panneaux Dibond®, afin qu’elle puisse les présenter à ses clients, pour un prix de 900 € HT, qu’ils peuvent payer en trois fois.

Ce qu’elle ne leur dit jamais est qu’elle recrute plus de trente nouveaux artistes par mois, avec l’aide de ses stagiaires, donc, comme me l’a expliqué ma collègue vietnamienne : « bien sûr qu’il est impossible de tous les exposer, mais ce sont deux mois non consécutifs et c’est pour cela qu’on a un agenda : ainsi on sait quand un artiste va passer et on accroche ses œuvres. » Elles ne sont réellement présentées qu’au moment du vernissage, auquel les artistes contribuent au coût des cartons de vin et des pains surprises Picard. Evidemment, on ne voudrait pas que Mme Coti casse la tirelire. Les vernissages sont collectifs et ont lieu une fois par semaine pour caser tous les artistes représentés. Puis il y a le magazine, créé par une stagiaire, quelles que soient ses compétences avec Indesign et Photoshop, qui est vendu uniquement dans la galerie pour le prix ridicule de 7,50 €, parce que « ce sont les prix du marché ». Comme vous avez peut-être deviné, ce ne sont que les artistes représentés dans l’issue qui en achètent quelques copies pour les distribuer à leurs proches.

Mais ceci n’est que la pointe de l’iceberg, quelques manigances superficielles qui doivent être assez courantes dans le monde saturé et décadent des galeries d’art, Mme Coti a créé tout un réseau fictif pour légitimer sa galerie : en commençant par Hervé Pichon*, qui s’occupe de photographier les œuvres d’artistes, et sa société SMAS auquel les artistes sont facturés. Il y a aussi les journalistes du magazine : Patrick Leroux et Sergio Rodriguez*, qu’on nous demande de contacter quand on envoie les questions d’interview aux artistes, et n’oublions pas Véronique Ferret, du service de gestion et de comptabilité, Agnès Dimitri qui règle la récupération des œuvres non vendues des artistes.

Notons que sur 1600 œuvres en vente sur Artsper la galerie Coti en a vendu seulement 11. En cherchant dans ses mails, je n’ai trouvé aucun e-mail concernant une vente, aucun rendez-vous avec des clients, mais seulement des échanges avec les artistes appauvris de 1000 euros, auxquelles les œuvres ont à peine été déballées. Heureusement, il y a ses stagiaires “chéries” pour l’aider dans tout ça : “les belles jeunes filles” qu’elle embauche et qu’elle chouchoute de manière condescendante, car à la fin d’un travail, bien ou mal fait, ce qui n’est pas très important à ses yeux, du moment que son système prolifère.

Je ne suis restée qu’une semaine, où au lieu de faire les nombreuses tâches qui préservent l’image fictive d’une galerie fructueuse, j’ai creusé ses mails et fichiers pour comprendre l’étendue de son escroquerie. Mais les mots de passe ont été changés l’instant où j’ai quitté la galerie.

Je me suis retrouvée à chercher du travail de nouveau, en espérant trouver rapidement pour avoir de quoi payer mon premier mois de loyer. Pendant que Mme Coti rentre chez elle en Porsche, dans son appartement de 200 m2 avec vue sur la tour Eiffel pour s’occuper de ses lapins, qui ont le luxe d’avoir une chambre juste pour eux.

*Les noms et prénoms des personnes citées ont été modifiés.

Mathilde Cahill

Les propos tenus dans les tribunes n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.


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