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Tribune – L’Union européenne nous empêche-t-elle de mener une politique écologiste véritable ?

Jérôme Yanez est professeur de technologie, il est responsable national pour les questions écologiques à l’Union Populaire Républicaine.

Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.


A l’approche des élections européennes du 26 mai, tout citoyen ayant l’écologie à cœur est amené à s’interroger sur l’institution européenne et sur son rôle réel concernant l’écologie.

L’Union européenne est une union technocratique supranationale qui consiste par principe à appliquer deux traités, le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La France est subordonnée à ces traités depuis que nos parlementaires les ont ratifiés, au mépris de l’opposition exprimée par les Français lors du référendum de 2005. Ils ont depuis lors valeur de loi fondamentale. Or, ces traités nous emmènent dans une direction diamétralement opposée à l’écologie. En particulier à cause de ces quatre articles du TFUE :
    

  1. Dans l’article 32, il est question de « promouvoir les échanges commerciaux », « d’accroître la force compétitive », de « ne pas fausser les conditions de concurrence » et « d’assurer un développement rationnel de la production et une expansion de la consommation ». Cet article institue notre participation à une mondialisation devenue folle, il promeut la concurrence, partout et tout le temps, il interdit de fait tout protectionnisme écologique, et il contient cette l’idée d’une croissance de la consommation jusqu’à la nuit des temps.
  2. L’article 39 dit que le premier objectif de la politique agricole est « d’accroître la productivité de l’agriculture ». Il impose l’ultra-productivisme agricole, ce qui conduit aux fermes-usines, au gigantisme agricole et, par extension de ce principe au domaine maritime, à la surpêche. Il ne faut pas croire que la ferme des mille vaches et la ferme des dix-sept mille cochons sont des exceptions ou des anomalies : ces fermes résultent au contraire de l’application littérale des traités. Les projets de fermes géantes ont d’ailleurs tendance à se multiplier.
  3. L’article 63 stipule que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux sont interdites ». Il permet la libre délocalisation, l’évasion écologique et l’évasion fiscale qui ruine nos gouvernements de façon permanente et souterraine. 
  4. L’article 106 dit que « les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence ». En fait, il casse les services publics (la notion de service public n’existe pas en tant que telle dans le droit européen), y compris le service public ferroviaire et le service public de l’énergie, pourtant tous deux indispensables à un virage écologique.


Les effets concrets de ces articles sont désastreux. Nous invitons tout écologiste sérieux à lire et examiner ces quatre articles. Ces textes sont fondamentaux car ils sont à la racine d’un grand nombre des dérives anti-écologiques que les militants combattent localement. Ces militants de terrain s’attaquent donc aux conséquences des traités européens sans le savoir.

Puisqu’il s’agit ici d’élections européennes, la question d’accepter ou de refuser ces traités se pose. Elle se pose chaque jour de façon plus aiguë, puisque tous les acteurs économiques du pays (État, entreprises, agriculteurs) sont obligés de prendre des décisions qui respectent ces traités. Ces décisions complexifient l’organisation économique, toujours dans le sens du productivisme, du gigantisme et de la haute technologie non réparable, non renouvelable et non résiliente, accroissant ainsi les problèmes que nous voulons résoudre. Ces traités encouragent une logique de concurrence entre les États qui nous oblige à aller vers l’extractivisme, le productivisme, le gigantisme agricole et industriel, sous peine d’une prétendue perte de « compétitivité ». 

C’est pourquoi nous considérons que toute proposition politique qui se réclame de l’écologie et qui ne présente pas de plan réaliste et détaillé pour mettre fin à l’empire de ces quatre articles est nulle.

Ce problème étant posé, il y a deux options. 

La première option consiste à rester dans l’Union européenne. Cette première option – rester – est choisie sans ambiguïté par la quasi-totalité des organisations et partis de la gauche écologiste.

Le Parti socialiste est toujours aussi pro-européen. Le Parti communiste a abandonné la faucille et le marteau pour l’étoile européenne. La France insoumise a longtemps baladé ses sympathisants entre plan A et plan B, pour finalement renoncer à son plan B qui n’a d’ailleurs jamais été la sortie de l’UE. EELV reste fédéraliste et revendique l’idée de la disparition de la France, ce qui au passage rend ce parti inconstitutionnel. Les formations ayant récemment créé une nouvelle offre, Place publique, Génération(s), REV, Génération écologie, s’affirment elles aussi très pro-européennes, sans le moindre doute. 

Dans le camp de la gauche écologique, tous ces partis veulent donc rester dans l’UE. Mais alors, comment comptent-ils nous libérer de ces articles des traités ? Lorsque le problème est identifié, ce qui est loin d’être toujours le cas, ces partis parlent alors de « changer l’Europe ». Pourtant, tous les partis du spectre politique ayant gouverné au cours des dernières décennies ont prétendu vouloir changer l’Europe, et personne n’y est jamais parvenu. Aucune Europe sociale, aucune Europe écologique, ni aucune autre sorte d’Europe n’est advenue. Le slogan des Verts pour le référendum de 2005 était : « OUI ! Pour qu’une autre Europe soit possible ». Vœu pieux : en réalité, aucune « autre Europe » n’est possible. Il y a à cela une raison simple : l’accord unanime des 28 États de l’Union (27 après le Brexit) est nécessaire pour changer ne serait-ce qu’un mot aux traités. Cet accord unanime est en pratique impossible à obtenir. Cela paralyse toute réorientation significative de l’Union, en particulier dans un sens écologique. Les seules modifications des traités ayant pu survenir au cours des précédentes décennies sont des approfondissements de cette union ultra-libérale et mercantile, dont il faudrait qu’elle fut « sans cesse plus étroite », au mépris des volontés populaires.

Plusieurs partis de la gauche écologiste semblent avoir établi que changer l’Europe serait possible, facile même, et respectueux des volontés contradictoires de nos voisins européens. Leurs plans pour changer l’Europe sont des projets non définis dans le temps et imprécis dans leur méthode. Ces partis appellent à « changer de logiciel », à « changer de modèle » ou à « rompre avec le cadre dominant » : rien de concret. En l’absence de plan cohérent pour faire cesser l’application des articles 32, 39, 63 et 106, l’offre écologique de ces partis nous parait inconséquente et trompeuse.

La seconde option consiste à se libérer de l’UE et de ses traités de la façon la plus simple qui soit : nous retirer de l’Union.

Pour faire cesser l’application de ces traités anti-écologiques, la solution la plus simple et la plus raisonnable est de sortir de l’Union européenne. C’est ce choix qu’a fait le Royaume-Uni, pour d’autres raisons que l’écologie. L’activation de l’article 50 du TUE, appelée Frexit pour la France, garantit la possibilité de nous libérer de l’empire de ces traités en deux ans, tout en étant respectueux du droit international et de nos voisins européens.  

À l’UPR, nous pensons que le Frexit est la meilleure méthode pour nous libérer des articles 32, 39, 63, 106. 

Bien sûr, nous avons grandi dans l’UE, elle nous a été enseignée au collège et au lycée, et nous avons de puissants réflexes qui agissent comme des forces de rappel. Mais ces réflexes ne valent pas réflexion, et ces poncifs (l’UE, c’est la paix, sortir nous plongerait dans la récession, la sortie de l’UE serait nationaliste et xénophobe…) ne résistent pas à l’analyse ni à l’exemple du Brexit. Bien sûr, l’idée de sortir de l’UE peut faire peur au premier abord, et l’idée de maîtriser librement son destin peut aussi donner un certain vertige si l’on n’y est pas préparé. Mais cette peur ne doit pas empêcher de réfléchir ni de regarder les choses en face.

À bien des égards, nous libérer de l’UE est progressiste. En effet, la sortie de l’UE fait sauter un verrou ultra-libéral et conservateur, ce qui rend toute une série d’innovations et de changements progressistes possibles. Service public, assistance sociale, écologie : la fin du calvaire néolibéral est possible si nous quittons l’Union. Elle ne l’est pas si nous restons.

Le Frexit que nous défendons est également synonyme de la fin de la soumission aux lobbies par UE interposée, de la fin du dogme du libre-échange (le Jefta, l’accord commercial de grande envergure Europe-Japon, a été ratifié le mercredi 12 décembre dernier, et un accord avec Singapour a été validé le 13 février par le parlement européen), et d’un projet alternatif à la croissance perpétuelle du système technicien, qui est une impasse.

On pourrait objecter que le Frexit n’est pas suffisant, et que s’il s’agissait simplement de commettre les mêmes erreurs à l’échelle nationale, la sortie de l’Union serait peu utile à l’écologie. C’est vrai, mais qui voudrait quitter un système tel que l’UE pour en reprendre les travers à l’échelle nationale ? Le Frexit s’accompagne par définition d’une remise en causes des pratiques anciennes et nocives dont l’UE est l’expression achevée. Ce qui est sûr, c’est qu’un partisan sincère de l’écologie ne peut pas faire l’impasse sur la remise en cause du système productiviste actuel, lequel trouve en l’UE un levier formidablement puissant. Ainsi, nous pensons que le vote écologiste le plus sérieux aux prochaines élections européennes est un vote pour le Frexit : nous voulons un Frexit écologique.

Les conséquences de la grave crise écologique et de la situation objective de l’Union européenne doivent être tirées jusqu’au bout. Nous voulons nous libérer de l’UE pour nous défaire de ces traités inacceptables et rendre enfin possible une politique écologiste véritable, en rupture avec la pratique de ces dernières décennies. Cette voie est ardue, elle est piégée par les oligarques et les technocrates, mais elle est notre meilleure chance d’y parvenir.

Ce n’est pas tout. Nous libérer de l’UE est pour nous un moyen et non une fin. Se défaire de l’UE, c’est sortir d’un piège. C’est la condition essentielle pour rendre possible un programme écologique sérieux. Rompre avec cette mondialisation folle, relocaliser ? Rompre avec une vision mercantile du progrès ? Mettre fin au délire du gigantisme agricole, préserver l’agriculture familiale, augmenter le nombre d’agriculteurs et permettre l’essor de la permaculture à plus grande échelle ? Sortir des traités de libre-échange et mettre en place un protectionnisme écologique ? Relancer le train à moyenne vitesse dans le cadre d’une SNCF nationalisée offrant un service public ? Interdire les activités de lobbying comme étant des activités de trafic d’influence ? Ce programme, qui en vérité n’est pas original pour un écologiste, n’est possible qu’en cas de Frexit, tant il s’oppose aux traités.

Pour finir : il faut du temps pour dessiller les yeux et accepter que la sortie de l’Union européenne puisse être utile et nécessaire. En effet, nous avons été conditionnés à aimer l’Europe et la propagande à l’œuvre en faveur de la « construction européenne » est à la hauteur de son échec. Il faut aussi du temps pour examiner en détail les propositions politiques qui incluent le Frexit, et pour conclure sur la pertinence, le réalisme et la sagesse de ce projet.

Pourtant les élections ont lieu dès le 26 mai. Nous incitons tous les écologistes sérieux à confronter leurs convictions avec la réalité : le Frexit est une solution progressiste, indispensable, tant sur le plan écologique que social. Nous les invitons ensuite à en tirer les conséquences politiques.

Jérôme YANEZ
Responsable national pour les questions écologiques à l’UPR


Source : Courriel à Ecohmag


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